Tous les articles par Daniel Curtit

Melisey. Histoire des Vosges saônoises. XIXe siècle.

L’eau et le patrimoine

(photo de l’en-tête : moulin Millet, La Lanterne-et-Les Armonts, 1986.
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Que l’on s’occupe de l’eau, de sa qualité, de sa distribution équitable, voilà une bonne chose ; en France, la gestion de l’eau est confiée à six agences de bassins hydrographiques, notre arrondissement dépend de l’agence Rhône-Méditerranée-Corse. La Communauté de communes des Mille Étangs vient justement de signer un contrat avec l’Agence de l’eau (voir L’Est Républicain du 26 décembre 2021), qui doit intéresser le citoyen et l’usager de l’eau, tant les échelons administratifs de sa gestion, qui engagent une multitude d’acteurs,  apparaissent complexes et parfois même déconcertants. Rappelons que le Comité de bassin (quelque 170 membres) élabore le Schéma directeur d’aménagement et de gestion de l’eau (SDAGE), qui se décline localement jusqu’à la plus petite association de pêche, en passant par toutes sortes de dispositifs intermédiaires, comme l’Établissement public territorial de bassin Saône et Doubs, la compétence « Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (GEMAPI) dévolue aux nouvelles communautés de communes, la Commission locale de l’eau, la Fédération départementale de la pêche, les associations de protection de la nature (comme le Conservatoire d’espaces naturels), le réseau européen Natura 2000, le programme de financement LIFE… C’est au nom de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (lema 2006), déclinaison française d’une directive européenne remontant à l’année 2000 – et que nous connaissons surtout par l’application du concept de « continuité écologique » -, que la Haute-Saône a commencé de voir la destruction de petits seuils de rivière (voir sur le ruisseau de Mansvillers, à Melisey), de retenues (difficile démolition du barrage du Creusot, sur le Raddon, à Fresse), de moulins (réaffectation du moulin Saguin, à Amage, et destruction de la digue). Ces interventions eussent sans doute été différentes aujourd’hui, depuis que le Conseil d’État a censuré la doctrine de la Direction de l’eau et de la biodiversité et caractérisé tous les excès commis au nom de la « continuité écologique » ; depuis que le Parlement a voté l’été dernier (loi du 22 août 2021) l’article 49 de la loi climat, qui interdit la destruction des moulins à eau.

Pour les interventions effectuées localement au nom de la continuité écologique, on se reportera aux images et à l’article Le dépaysement (shaarl, 2018). Voir également le rapport de l'enquête publique concernant la réhabilitation du moulin d'Esfoz, ainsi que la video réalisée par Fédération Française des Associations de sauvegarde des Moulins(dont la création remonte 1977).

Bonne nouvelle : L’Est Républicain nous informait tout récemment (13 nov. 2021) que le moulin d’Esfoz, à Corravillers, reprenait vie. La SHAARL avait participé à l’enquête publique de 2018, l’importante mobilisation collective autour du moulin avait pu venir à bout des obstacles.

Le moulin d’Esfoz (Corravillers, 1987)

Cette aventure avec les moulins comme avec beaucoup d’autres patrimoines offre sa leçon à l’heure où la situation sanitaire mine quantité d’associations qui perdent de nombreux adhérents, tout particulièrement dans les domaines de la culture. Restons fidèles à nos sociétés d’histoire pour mieux voir demain… et que vivent nos moulins.

Un oublié, Charles Thirria (1796-1868)

Les historiens – ainsi Alain Corbin, dans Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot – Sur les traces d’un inconnu, 1798-1876 (Flammarion, 1998), ou Arlette Farge, dans Vies oubliées. Au cœur du XVIIIe siècle (La Découverte, 2019) – parviennent à saisir dans la poussière des archives le murmure des vies ordinaires, des personnes invisibles qui jamais ne se sont hissées aux créneaux de la notoriété. Inversement peuvent s’effacer, en quelques décennies, les traces d’hommes et de femmes qui furent illustres en leur temps. Les descendants ne se manifestent plus, les tombes abandonnées dans les cimetières sont relevées, quelques restes sont peut-être déposés dans la fosse commune…

Le personnage célèbre a pu aussi changer de lieux. Le grand ingénieur et mécanicien Benoît Fourneyron (1802-1867), inventeur de la turbine hydraulique, est reconnu dans sa ville natale de Saint-Etienne mais largement ignoré dans le département de la Haute-Saône où il expérimente pour la première fois, en 1827, à Pont-sur-l’Ognon, le moteur hydraulique « à pression universelle et continue ». Tout aussi oublié est Alfred Meugniot (1857–1928), né à Faucogney, qui contribue au début du XXe siècle à la restauration de la carpiculture française ; et personne, dans les festivités du Tour de France, ne s’est rappelé que le docteur Philippe Marre (1907-1980), qui exerçait à Lure dans sa clinique de la place de la Libération, fut un compagnon de Paul de Vivie, dit Vélocio (1853-1930), figure emblématique du cyclotourisme français. Philippe Marre, ami  du cyclotouriste Jacques Faizant, a été aussi rédacteur en chef de la revue de Vélocio, Le Cycliste ( publiée de 1887 à 1974 !).

Le travail de l’historien comporte cette fonction d’exhumation des figures oubliées et nous pouvons saluer les recherches du docteur Larère (il a aussi exercé à Lure) qui a rappelé  récemment à l’auditoire de la SALSA le parcours de Charles-Édouard Thirria (1796-1868), ingénieur des mines de la Haute-Saône, président de la SALSA en 1840, qui publia une œuvre imposante sur la Haute-Saône du XIXe siècle, aujourd’hui source documentaire essentielle. On pourra se reporter à la notice biographique et bibliographique établie par Claude-Isabelle Brelot, sur le site du Comité des travaux historiques et scientifiques. En ligne également le Manuel à l’usage de l’habitant du département de la Haute-Saône (1869 – 1003 pages)…

Charles-Édouard Thirria a bien été inhumé à Vesoul, mais de tombe plus aucune trace ; « aucun descendant ne s’est manifesté en 1963, lors du relèvement des tombes abandonnées», explique Jean-Claude Larère qui a entrepris des démarches fructueuses auprès de la municipalité de Vesoul. Le nouvel espace funéraire, qui jouxte le cimetière de la ville, s’appellera : Espace cinéraire Charles Thirria. Une plaque commémorative y sera inaugurée le samedi 24 octobre 2020, à 11 heures.

Calamité (III)

Reportons-nous seulement un demi-siècle en arrière : la France traversait déjà, en 1969, une pandémie qui provoquait 31 226 décès en deux mois (Voir l’article en ligne publié par L’Est Républicain et intitulé : Grippe de 1968 : un million de morts dans l’indifférence générale).

Certains media ont heureusement pris  un peu de distance avec l’actualité dramatique en rappelant les épidémies anciennes. La moitié sans doute de la population européenne aurait sombré après la grande peste Noire de 1348 ; un curieux souvenir persiste à Belonchamp (70), avec le millésime 1349 gravé sur le socle de la croix de la Peste, toujours en place, et un saint Sébastien sculpté sur le fût, à l’opposé du Christ.

Croix de la Peste, Belonchamp (Dessin de Pierre Bernardin, 1988)

Les écrivains du dix-neuvième siècle n’ont pas manqué de parler du choléra de 1832 ; George Sand (1804–1876) se demande par exemple si elle doit quitter Paris pour sa campagne de Nohant et relate, dans Histoire de ma vie (1855) : « (le choléra) approcha rapidement, il monta, d’étage en étage, la maison que nous habitions. Il y emporta six personnes et s’arrêta à la porte de notre mansarde, comme s’il eût dédaigné une si chétive proie. […] afin d’éviter d’inutiles angoisses, nous étions convenus de nous rencontrer tous les jours au jardin du Luxembourg, ne fût-ce que pour un instant, et quand l’un de nous manquait à l’appel, on courait chez lui. Pas un ne fut atteint, même légèrement. Aucun pourtant ne changea rien à son régime et ne se mit en garde contre la contagion. » (Le Livre de Poche, p. 607).
Chateaubriand (1768–1848) ne rejoignait sans doute pas, au même moment, le groupe du Luxembourg (encore non estampillé Facebook) ; dans ses mémoires, il relate aussi le choléra de 1832 après un historique intitulé Pestes et conclut : « […] le choléra nous est arrivé dans un siècle de philanthropie, d’incrédulité, de journaux, d’administration matérielle. Ce fléau sans imagination n’a rencontré ni vieux cloîtres, ni religieux, ni caveaux, ni tombes gothiques ; comme la terreur de 1793, il s’est promené d’un air moqueur à la clarté du jour, dans un monde tout neuf, accompagné de son bulletin, qui racontait les remèdes qu’on avait employés contre lui, le nombre des victimes qu’il avait faites, où il en était […] Et chacun continuait de vaquer à ses affaires, et les salles de spectacles étaient pleines. » (Mémoires d’Outre-Tombe, livre 35e, chap. 15) Des pages passionnantes et qui rendent particulièrement sensible le monde encore plus neuf d’aujourd’hui, celui de BFM, twitter, Fox news, le monde de l’information en continu, qui met en tension différentes philosophies.

La pensée de l’Écclésiaste (« Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. » Eccl. 1,9) contraste en effet avec celle de l’historien plutôt attentif aux changements et que pourrait traduire la phrase de Marguerite Yourcenar choisie en préambule de l’émission de J.-N. Jeanneney, Concordance des temps : « Le coup d’œil sur l’Histoire, le recul vers une période passée ou, comme aurait dit Racine, vers un pays éloigné, vous donne des perspectives sur votre époque et vous permet d’y penser davantage, d’y voir davantage les problèmes qui sont les mêmes ou les problèmes qui diffèrent ou les solutions à y apporter. »

Calamité (II)

La fermeture des Archives départementales peut être l’occasion de reprendre ou de découvrir l’ouvrage de Louis Jeandel et d’André Thévenin : En Haute-Saône… avant 1700 – Promenade dans les Archives départementales (Textes et documents de la SALSA, 2015). Une mines d’informations saisies au plus près d’une documentation considérable (examen, par exemple, de plus d’une centaine d’inventaires et de comptes répartis de 1555 à 1700), une contribution remarquable à l’histoire surtout matérielle de la vie de nos ancêtres (la maison, le mobilier, la nourriture, l’éclairage, l’outillage agricole, les armes…), à celle de choses peut-être devenues banales, qui ne l’étaient pas. Dans ce gros ouvrage (A4, 305 p.), le chapitre Santé et médecine évoque l’épidémie de peste survenue au début de la Guerre de Dix Ans, dans l’été 1636 surtout, à Vesoul, Chariez et Gray.